| Interview Olivier Plasseraud
Interview Alphonse Arias
Interview Olivier Plasseraud
Quel pêcheur de truite ne connaît
pas Olivier Plasseraud? Rédacteur en chef de la revue Salmo, directeur
de FDAAPPMA de la haute Garonne, il reste dans les mémoires pour avoir
établi les standards de la pêche au vairon manié, ses cannes et surtout
sa monture reste une référence dans la traque de la truite au vairon
manié.
Pêcheur de truites, mais aussi de saumon, la passion de ces deux
salmonidés l’entraine souvent au bord de l’eau…
Le Pétsu : Bonjour Olivier Plasseraud, tout
d’abord, il serait bon que tu fasses une petite présentation.
Olivier Plasseraud : J’ai atteint la cinquantaine
sans m’en apercevoir. Au bord de l’eau le temps passe vite. J’ai pêché
un peu tout à des degrés divers, mais je reste un inconditionnel des
salmonidés. La truite fait mon ordinaire, le saumon mes extras.
Je n’ai jamais gagné ma vie autrement que par la pêche. Je ne sais rien
faire d’autre : Un rêve de gamin concrétisé par une formation
doctorale de troisième cycle universitaire en ichtyologie, conception
de matériel de pêche, journalisme halieutique… Depuis quelques années,
après avoir été chargé d’études, je suis directeur de la FDAAPPMA de
Haute Garonne et aussi, rédac chef du magazine Salmo.
Le Pétsu : comment as- tu débuté la pêche ?
Olivier Plasseraud : Quand j’étais petit, tous
les hommes de ma famille étaient plus ou moins pêcheurs, ça donne
l’occasion, forcément ! Après, j’ai tracé mon chemin plus loin, plus
passionnément. Parfois avec des copains de mon âge, mais souvent seul :
quand il commence à te pousser des écailles dans la cervelle, tu ne
trouves plus grand-monde pour te suivre dans le tumulte des eaux où tu
nages. Ceci dit, la solitude ne me pèse jamais et je ne cherche pas
souvent (mes amis te diraient en termes plus crus que c’est un sacré
euphémisme) la compagnie au bord de l’eau: canne en main, c’est entre
le poisson et moi, rien d’autre n’existe… Mais sinon, en dehors de la
pêche, ça va: je parle aux gens et j’ai une vie de famille
normale !
Le Pétsu : Basé dans la région Sud Ouest, quelles
sont tes rivières de prédilections
Olivier Plasseraud : Les rivières pyrénéennes,
forcément. On est tous de quelque part. Elles offrent une palette de
diversité inégalée pour la truite. Il y a toujours un parcours qui
convient aux conditions du jour, quelles qu’elles soient. Dire mes
préférées n’aurait donc pas beaucoup de sens, il y a des truites dans
toutes ! De l’Atlantique à la méditerranée, la diversité
climatique, couplée au choix d’altitude, d’orientation et de géologie
des bassins versants, donne un terrain de jeu parfait pour permettre le
bon choix du moment, de l’ouverture à la fermeture. Bien sûr, il y a
d’autres coins bien meilleurs dans le monde pour la truite, mais aucune
autre situation géographique en Europe que les Pyrénées centrales
n’offre autant d’options si nettement diversifiées à distance
raisonnable et disponibles librement car en totale réciprocité
avec un même permis de pêche. Comprendre et anticiper cette adéquation
entre le moment et le lieu, en permanence remis en question par les
conditions, est passionnant. L’autre attitude, qui n’est pas la mienne,
est plus classique pour les truiteurs: espérer des conditions
favorables et s’en tenir au parcours que l’on a l’habitude de pêcher.
On peut s’en contenter: Une montre arrêtée donne bien l’heure exacte
deux fois par jour !
Le Pétsu : Quelle est la technique de pêche que
tu affectionnes le plus, et surtout ce qui te pousse à la
pratiquer.
Olivier Plasseraud : Ce qui m’intéresse et me
motive techniquement à la truite se résume en trois points:
- la lecture de l’eau pour deviner la place de la truite
- l’utilisation du jeu des courants pour obtenir la dérive naturelle
qui conduira la « chose » que j’offre à la truite
- la réaction appropriée à l’instant magique où elle accepte mon offre
Que cette « chose » soit un appât, un larvor ou une mouche
artificielle n’obéit à aucune hiérarchie de plaisir ou de valeur
symbolique pour moi, pas plus que la façon de lancer ou de monter la
ligne, ni avec quelle canne, ou par quelle technique présenter ce qui
dissimule mon hameçon. Je les aime toutes: si la façon de faire est
adaptée à l’endroit et au moment, alors la truite confirmera que
c’est la bonne. Quel pêcheur serais-je pour me permettre de la
contredire ? Il n’est pas interdit de pêcher un gobage au ver ou
l’eau sale en mouche sèche, mais quand j’ai le choix, en général,
je fais l’inverse !
Le Pétsu : Sur toutes tes sorties pêche, en
as- tu une qui te reste gravée dans la tête et pourquoi ?
Olivier Plasseraud :Oui, la prochaine. Toujours.
Dès l’instant où je plie ma canne et jusqu’à la prochaine fois que je
la monterai. Parce que cette future partie de pêche vit dans ma tête en
attendant. Le saumon, plus encore que la truite puisque je le pêche
hélas moins souvent car à l’étranger, me maintient dans cet état
d’esprit.
Le Pétsu : Et enfin, que penses- tu de la
législation Française concernant la pêche en première catégorie
Olivier Plasseraud :Professionnellement, je suis
tenu de m’en préoccuper et d’avoir un avis supposé compétent sur la
question. J’ai aussi voyagé pour pêcher des salmonidés dans bien des
eaux et vu ce qui se faisait ailleurs. La gestion de la pêche, dont le
volet « règlementation » est
l’un des aspects les plus débattus, est un sujet bien trop vaste pour
une réponse courte dans une interview. Je vais donc plutôt tenter
d’expliquer pourquoi je ne peux pas te répondre simplement. D’abord,
une mise au point est indispensable car un malentendu fausse de façon
pénible tous les débats sur ce sujet: Aucune pression de pêche de
loisir à la ligne au monde, aussi mal gérée soit-elle, ne peut mettre
en danger d’extinction une population de truite fario sauvage, quelle
que soit la fonctionnalité du milieu. C’est un fait, pas une posture
idéologique. Donc régir et limiter la pêche de loisir ne peut pas se
justifier par la nécessité de préserver la pérennité de la ressource.
Une telle justification est pourtant aussi habituelle qu’erronée.
Certains érigent même cette méprise en principe moral, rendant ainsi
toute rationalité du débat impossible. En réalité, on ne fait pas de la
protection environnementale quand on règlemente la pêche à la
ligne : on gère de l’humain. Tant que le malentendu qui consiste à
penser qu’il faut encadrer la pêche de loisir afin de protéger les
truites d’une disparition par surexploitation persiste, le débat est
dans l’impasse. La règlementation de la pêche à la ligne ne gère et ne
sanctionne qu’elle-même. Elle agit, suivant les pratiques qu’elle
encourage ou limite, comme un filtre, un tri sélectif des pêcheurs en
réglant la quantité et la « qualité » des effectifs de
pratiquants sur le parcours où elle s’applique. A la marge, en
modifiant la pression de pêche, elle agit sur certaines variables de la
démographie des truites, en particulier l’âge moyen des adultes. Mais
les pêcheurs perçoivent beaucoup plus directement les effets que
les règles du jeu exercent sur la concurrence entre eux en la
modifiant, suivant qu’elles accroissent ou diminuent le nombre de
pêcheurs et leurs prélèvements individuels. C’est déjà beaucoup :
Définir le type d’halieutisme que l’on veut mettre en place est crucial
pour le pêcheur, puisque la qualité ressentie de son loisir en dépend.
Mais l’enjeu n’est pas du tout sur le même plan que de sauver la
biodiversité de nos écosystèmes aquatiques, totalement hors de
proportion et hors du champ des règles encadrant notre simple loisir.
Les pêcheurs se passionnent souvent avec une naïve conviction pour ce
sujet. On est presque toujours dans l’illusion ou la pensée magique
tant on imagine que la règlementation de la pêche, si elle était
« meilleure » pourrait résoudre des problèmes en réalité hors
de sa portée. Il n’y a pas de solution miracle pour gérer la
pêche, encore moins par sa seule règlementation: il y a juste des
choix, qui ont tous des avantages et des inconvénients. Avant de juger
des performances des contraintes et limites mises en œuvre, il faut
savoir pour quels types de pêcheurs on agit, pour quels
effectifs, avec quelles caractéristiques de milieu, avec quels
objectifs, etc. Et tout ceci a des conséquences économiques et
sociales, donc la technique est forcément et finalement toujours au
service d’une politique. Oui, c’est politique, donc complexe,
soumis à la subjectivité des points de vue et sujet à controverse. De
ce fait, et comme au sujet de la marche du monde, chaque fois que
quelqu’un prétend dire en quelques phrases définitives ce qu’il suffit
de changer dans sa gestion pour que la pêche devienne parfaite, la
seule chose dont tu puisses être certain, c’est qu’il dit une connerie.
Le Pétsu: Merci Olivier pour ces réponses...
| |