Depuis le pont

Mes yeux se ferment, le sommeil me gagne, mais en gambergeant une dernière fois, une idée me vient à l'esprit: qu'est-ce qui a marqué le plus tes débuts à la pêche, ce qui t'a donné envie de te retrouver au bord de la rivière ?
Eh bien, c'est l'image de mon vélo qui m'est revenu.
Offert pour mes dix ans, il fut l'instrument de la liberté gagnée, des belles échappées au bord de la Pique...
L'autre image qui me revient, c'est un pont, enfin, plusieurs ponts qui enjambent le bras-mort de la rivière en montant vers Luchon.
Tiens, je me souviens de ces soirs d'été, quand, après le dessert, dans le jour finissant, je demandais à mes parents la permission de partir vers Muna, Anos ou Guran...Une bonne rasade d'eau, le short remonté et en avant la musique: je partais comme une fusée sur la route, et hop! petit coup d'oeil sur la plage à la sortie du village, hum, le niveau m'a l'air bon !!
Petite accélération, changement stratégique de pignon (ehhh oui, avec 3 vitesses, j'allais quand même pas faire pâlir Hinault, mais bon, c'était mieux que rien !), et descente vers le pont de Muna...
Aaaahh, le pont de Muna, ce pont qui m'a vu passer cinquante mille fois, la classique des classiques, et qui avait vu passer mon frère 15 ans avant, faisant des pêches "miraculeuses", soigneusement notées dans de petits carnets que je relisais souvent, vestiges de l'époque d'avant, bien différente de celle qui allait commencer, la ruée sur la truite des années 80, et vas-y la truite à la mouche, au bouchon, au toc, au vairon, des berges occupées sans cesse, des truites épouvantées....

Mais revenons un peu en arrière, l'été 1981, le temps des truites qui se postaient tranquilou le soir venu devant les cailloux sous le pont de Muna, dans des eaux claires, ou parfois mâchées, "teintées" comme je dis, et qui gobaient sans se presser des nymphes, des sèches, des insectes encore inconnus dans ma culture de jeune pêcheur...
Vous sentez la douceur de ce soir d'été ? Aucune voiture pendant des minutes, le bruit de l'eau pour seul compagnon, et un petit curieux qui regarde amoureusement "ses" truites onduler langoureusement dans le courant, je dis bien des truites, pas une ou deux riquettes qui se battent en duel sur le gravier du fond, non, pas celà, mais plutôt de beaux poissons, bien maillés, qui picorent de ci de là...
Je les compte, je les recompte, j'épingle du regard les resquilleuses, les retardataires, les invisibles qui se collent au fond, sans bouger, les agitées, mortes de faim, "qui te font de ces écarts!!"
Tout celà, demain matin, quand j'irai voir mon grand-père, je le lui raconterai, et, d'un air "intéressé", il écoutera cette histoire, lui qui péchouillait cet endroit dans les années 30, et je suis sûr qu'il dira à ma mère, inquiète par mes échappées, "mais laisse l'y aller, macarel, tu vois bien qu'il adore ça "... merci grand-père ....

Tiens, celle-là, devant ce caillou, elle n'y était pas hier ?

Je frémis: dans le coin de l'oeil, là, contre la pile du pont, la maîtresse des lieux a ondulé, fugacement certes, mais bon dieu, je suis pas (encore) miro, quand même !! elle est là, puisque je vous dis que je l'ai vu, enfin...
A "bisto de nas", elle doit bien faire ses 30 ou 35cm, elle m'apparaît "énoooorrrrme", c'est elle qui est en tête de ce courant nourricier, elle commande et tient à distance la petite troupe, la dizaine de poissons qui grapillent derrière elle.
J'en reviens pas: c'est la première aussi grosse que je vois dans ce gouffre, oh ben dis donc !!

Intérieurement, je suis aux anges: le calme, la fraîcheur qui monte de la rivière, l'asphalte un peu chaud, le silence, tout concours à me faire aimer un peu plus ce milieu, depuis mes cinq ans, oui, j'aime cette compagnie, dans mon esprit d'enfant, loin des tracas de ces poissons, pourtant si paisibles...
Plein de fois je reviendrai pour maintenir le lien, sans pêcheur à l'horizon, admirer ces belles qui pour l'instant sont toujours là, assurant le spectacle, dont je ne rate jamais la séance (presque) renouvellée tous les soirs de l'été, et les journées de l'automne et de l'hiver.

Dans le silence, je regarde la montre, ou plutôt je me force à la regarder: la trotteuse, inéxorablement, m'arrachera bientôt à ma contemplation...
Contemplation, le mot est lâché, oh non pas comme un fauve! pas comme un mot cinglant! mais plutôt comme un nuage, vous savez ces nuages des soirs d'été, qui, poussés doucement par le vent, vous hypnotisent doucement, avec leurs formes mi-humaines, mi-animales... mais au fait, depuis combien de temps n'ai-je plus pris le temps de regarder le lent défilé de ces gros flocons blancs, sombres, pourpres ou rosés dans le soir finissant ?
Alors la promesse arrive, oui, je le jure, je m'allongerai dans ce pré, au bord de la rivière, bientôt, et je regarderai, avec mes yeux d'enfant, la course ralentie de ces gros flocons et le ballet de ces dames du passé...

Merde, ça fait du bien !
Merci fufu !

Merci de ce moment de rêve qui nous ramène à l'enfance heureuse.

j'attendais ce 2ème opus de ta vie de riverain de la pique avec impatience car le 1er(que j'ai lu ) m'avais beaucoup plu....
et bien je ne suis pas déçu ,c'est un régal!
merci beaucoup fufu pour ce superbe récit!

Oh Bravo, belle plume nostalgique pour nous un conte merveilleux. MERCI

agréable de lire çà en rentrant du boulot !

Merci à vous.
Ce n'est pas facile de retranscrire exactement les sensations précises, c'est pour ça que je m'y applique du mieux possible.
C'est tellement important de nos jours de pouvoir partager un ressenti, des interrogations... ma vie de jeune père est tellement chargée que j'aspire à écrire ce genre de texte pour me retrouver, en dehors de toute nostalgie, juste dans la sensation de retour dans l'instant passé.
Et puis comme "l'apétit vient en mangeant", chez moi l'écriture vient en écrivant, quand j'ai bien cerné ce que je voulais raconter, ça m'éclate de l'écrire
C'est la philosophie de ce site de partager, alors...autant faire profiter tout le monde.
Je suis sûr que cela a du rappeler des choses à certains

Et tu as bien raison, fufu !

ting......... A l'époque si j'avais su parler aussi bien que tu écris .........J'aurais pris moins de grosses cuites

en retard, même hors delai pour TER2, il se rattrape bien le bougre!

En tant que jeune papa, il serait dommage de ne pas faire le TER3, pour les enfants de chacun!

Tu as bien compris le sens du mot partage, et tout comme le fait si bien Jeff, tu nous régale.

Ha bien sur, je garde vos textes , j'ai bien sur une idée en tête! Toujours plus loin, toujours plus ........pour notre simple plaisir et celui de nos enfants. Le jour ou ne seront plus la, il seront fier de dire, tient, papa a écrit ces histoires dans ce livre, les écrits restent.......... Et j'avouie avoir une certaine émotion en ecrivant ces quelques lignes, bon mais croyez pas que je vais chialer, bande de tafiolles!

Meuh non t'es pas une tafiole tiens d'ailleurs tu veux pas un kleenex ??
Bon, faut dire que moi aussi ça me prend parfois d'être un peu ému quand je pense à ça aussi...
Pour Cigale: ça m'a pas empêché de prendre des cuites aussi

merci fufu c'est un régal ,vivement TER3

Merci ...

super fufu
hé oui ça nous rappelle beaucoup de choses
et ça continue toujours la même envie de regarder
sous les ponts quelqu'ils soient (sauf d'autoroute quand même)

Merci Fufu superbement écrit, et moi qui n'est pas d'enfance de pêcheur je m'éclate de vous lire et me dit que peut être dans une autre vie, si nous en avons d'autres, je pourrais avoir cette enfance pour profiter de ces instants magiques que vous racontez

fufu31 a écrit:Merci à vous.
Ce n'est pas facile de retranscrire exactement les sensations précises, c'est pour ça que je m'y applique du mieux possible.
C'est tellement important de nos jours de pouvoir partager un ressenti, des interrogations... ma vie de jeune père est tellement chargée que j'aspire à écrire ce genre de texte pour me retrouver, en dehors de toute nostalgie, juste dans la sensation de retour dans l'instant passé.
Et puis comme "l'apétit vient en mangeant", chez moi l'écriture vient en écrivant, quand j'ai bien cerné ce que je voulais raconter, ça m'éclate de l'écrire
C'est la philosophie de ce site de partager, alors...autant faire profiter tout le monde.
Je suis sûr que cela a du rappeler des choses à certains

Merci à toi Une bien belle histoire dans laquelle on peut tous se retrouver et partager, saint clou

joel5 a écrit:super fufu
hé oui ça nous rappelle beaucoup de choses
et ça continue toujours la même envie de regarder
sous les ponts quelqu'ils soient (sauf d'autoroute quand même)

ben moi, je cherche toujours ce fameux barbeau......